Le projet Santé Mentale et épilepsie (SME) a été initié afin d’améliorer l’accès aux soins adéquats et de qualité pour la population de la région sanitaire de Bouaké. Une démarche qui vise également à changer la perception générale sur les personnes souffrant de troubles mentaux et d’épilepsie dans une région où les traces des crises traversées par la Côte d’Ivoire sont encore palpables et où peu d’organisations interviennent sur la question.
Elie souffre d’épilepsie depuis 10 ans, elle fait partie des patients qui bénéficient du projet santé mentale et épilepsie démarré en 2021 par Médecins Sans Frontière dans la région du Gbèkè : « Depuis que je prends les médicaments, je ne fais plus de crise ».
Dr Raoul Sassi, Référent Médical du projet SME
Il y a eu une évaluation qui a été faite par l’équipe MSF et après analyse des données, il s’est avéré qu’il y a eu beaucoup plus de cas d’épilepsie, et de troubles de santé mentaux rencontrés au niveau de la contrée. Et c’est ce qui a motivé l’équipe MSF à commencer l’aventure
Pour rappel, la Côte d’Ivoire a connu différentes crises socio-politiques et militaires entre 2000 et 2011 et la région de Gbêkê a été particulièrement affectée. Bouaké, chef-lieu de la région et 2e ville la plus peuplée de Côte d’Ivoire, abrite le deuxième des deux seuls hôpitaux psychiatriques que compte le pays. Avec plus d’un millions quatre cent mille habitants répartis dans les trois districts du Gbêkê, les besoins en terme de prise en charge sont énormes notamment pour les patients souffrants d’épilepsie et de troubles mentaux.
Depuis mai 2021, Médecins sans frontières en collaboration avec les équipes du ministère de la santé, a démarré un projet portant sur la santé mentale et l’épilepsie qui s’articule autour de deux axes : le volet sanitaire et psychosocial et le volet communautaire. «Notre projet consiste à prendre en charge les malades mentaux et les épileptiques dans les trois districts de la région et nous avons 8 centres de santé que nous appuyons. Ce sont des centres de santé de premiers contacts dont primaire », nous informe Dr Raoul Sassi.
Le premier objectif est entre autres d’intégrer les soins de santé mentale dans le paquet de soins au niveau primaire de la pyramide sanitaire. Pour y parvenir, les agents du ministère de la santé ont reçu des formations.
Même si, le diagnostic de troubles mentaux et de l’épilepsie doit se faire par des spécialistes, « qu’à cela ne tienne, on peut outiller tout agent de santé pour ne serait-ce que la reconnaissance des signes et des différentes crises. Et également, l’administration simplifiée d’une certaine gamme de médicaments antiépileptiques pour déjà au moins, répondre un tant soit peu à la demande. Et quand l’agent de santé se trouvera en face de situations particulières, comme des patients réfractaires au traitement, ou difficile de prise en charge avec les médicaments à sa disposition, il pourra justement référer vers un spécialiste, vers un établissement sanitaire un peu plus outillé au niveau humain comme infrastructurel pour que le meilleur diagnostic soit posé et une meilleure prise en charge soit proposée », explique Dr Michèle Barry, Neurologue et chargée du suivi du projet.
Dr Michèle Barry, Neurologue et chargée du suivi du projet SME
Les personnes méconnaissent l’épilepsie et les personnes qui en souffrent subissent des discriminations
Outre le volet sanitaire, le projet SME de Bouaké a pour objectif de changer les croyances des populations sur les personnes souffrant de troubles mentaux et d’épilepsie. En effet, dans certaines communautés, la maladie mentale est considérée comme un tabou et les malades mentaux sont qualifiés de « fous », pareil pour les épileptiques. Ces croyances persistent à cause du fait que « Les personnes méconnaissent l’épilepsie et les personnes qui en souffrent subissent des discriminations. Il y a certaines personnes qui ne dorment pas dans la maison parce que la conception commune conçoit que l’épilepsie est une maladie contagieuse. Donc, il ne faudrait pas que la personne se lave dans la même maison, utilise la même douche ou partage le même seau. Donc, ce sont des personnes qui sont mises à l’écart » explique Olivier Bonny, Psychologue du programme santé mentale.
Olivier Bonny, Psychologue du programme santé mentale
Médecins Sans Frontières collabore avec plusieurs camps de prière puisque c’est dans ces camps-là que nous avons une grande majorité, de patients affectés par l’épilepsie, qui est considérée aussi comme une maladie diabolique et certaines personnes affectées par des maladies mentales, qui sont envoyées dans ces camps sont non seulement abandonnées par leurs parents mais sont enchaînées et soumises à des régimes très drastiques
Une situation qui justifie le fait de coupler les soins pour l’épilepsie
aux soins de santé mentaux, avec également un volet psychologique, car en plus de
souffrir de la maladie, les patients atteints d’épilepsie, développent des psychoses
à cause des mauvais traitements subis.
La démarche de Médecin Sans Frontières est inclusive, les camps de
prières ont été approchés afin de sensibiliser les responsables et la
communauté sur les bonnes pratiques à tenir mais également de convaincre qu’il
est possible d’allier soins spirituels et soins médicaux. Une approche qui
rencontre l’adhésion de certains guides religieux comme Koffi Yao Alfred,
responsable d’un camp de prière : « A part la prière, la médecine nous
aide beaucoup, nous travaillons avec MSF depuis 2021. Les mardis et les mercredis
nous envoyons nos patients prendre les médicaments à l’hôpital. MSF nous
aide beaucoup avec les patients psychotiques qui sont parfois difficile à
maitriser. »
Si depuis son implantation dans la région, de nombreux patients ont pu être traiter, un obstacle majeur dans la réalisation du projet santé mentale et épilepsie est le fait que le patient ou sa famille n’arrive pas à le définir comme malade et que ce dont il souffre peut être traité à l’hôpital. « L’épilepsie est un trouble du cerveau dont les manifestations cliniques sont pluri-variées. La forme la plus connue, c’est celle où le patient tombe, il a des secousses, il bave ou il urine sur lui. Un trouble de santé mentale est une perturbation au niveau comportementale, un dysfonctionnement au niveau des humeurs, au niveau de la perception de la réalité dont souffre le patient », explique dr Michèle Barry. Ces manifestations font que le patient n’est pas considéré comme un malade qui peut être pris en charge par la médecine moderne.
Comme stipulé plus haut, le deuxième volet du projet est axé sur la communauté. L’aspect communautaire du projet se traduit par la présence « des agents de santé communautaires qui s’occupent du suivi des patients, puisqu’ils sont dans les villages : ils font les visites à domicile, ils s’occupent de la détection des cas et de la sensibilisation » précise Olivier Bonny qui continue en disant que « 1978 patients actifs dont 1316 patients épileptiques, 519 cas de psychoses et une cinquantaine de patients atteints de dépression ont été enregistrés au mois de janvier 2024, ce sont des patients qui viennent régulièrement dans les 8 centres de santé que nous couvrons ».